ARTICLE PARU DANS LE N°47 - 09 SEPTEMBRE 2024 - SECTEUR PUBLIC
[EXCLU] Achats de l'État : les 119 slides du big bang Accenture
La Lettre du conseil a mis la main sur les préconisations adressées par Accenture à la Direction des Achats de l'État pour réduire ses factures de l'ordre de 800 millions d'euros par an. Un menu en 119 slides : extension des achats mutualisés entre ministères, réduction des effectifs d'acheteurs, hausse du nombre de marchés traités par chaque service dédié... Une cure de productivité voulue à l'époque par l'ancien Premier ministre et désormais candidat à l'élection présidentielle Édouard Philippe.
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Une mission raillée dans l'opinion
En février 2021, quand avait été rendue publique la décision de l'État, c'est peu dire qu'elle avait été accueillie fraîchement. Bercy avait attribué à Accenture la mission de l'aider à définir quand et comment couper de 800 millions d'euros dans les 15 milliards d'euros achetés par 11 ministères tous les ans en travaux de construction, de rénovation, de maintenance, de prestations sociales, de communication ou encore de prestations informatiques.
Cette décision, intervenue en novembre 2020, mais rendue publique par Médiapart en février 2021, suivait de quelques semaines la révélation au grand public du rôle joué par Accenture, et moult autres cabinets de conseil, dans la réponse de l'État à la pandémie du Covid. Le principe du recours à ces cabinets peuvent sur des sujets parfois antagonistes, par exemple pallier des politiques publiques dysfonctionnels, et parallèlement réduire les coûts de fonctionnement de politiques publiques, n'a pas fait l’unanimité.
En droite ligne des annonces d'Édouard Philippe
En l'occurrence, la nouvelle mission d'Accenture découlait en droite ligne d'une annonce faite par le Premier ministre Édouard Philippe lors du comité interministériel de la transformation publique (CITP) du 20 juin 2019. L'objectif affiché est alors de générer au moins un milliard d’euros d'économies dans les achats ministériels et interministériels, sur un périmètre de 11 ministères et leurs services en régions, soit 24 milliards d'euros d'achats annuels. Ce, avec de premiers résultats qui devaient se matérialiser dès 2020, puis crescendo les années suivantes.
Un an plus tard, le 22 juillet 2020, Michel Grévoul, directeur des achats de l'État (poste qu'il a quitté à l'été 2023 pour devenir conseiller maître à la Cour des comptes) et Françoise Tuchman, sous-directrice des achats de l'État (désormais contrôleur général économique et financier), signent un acte d'engagement avec Hugues Tourel. Ce dernier est alors le senior partner d'Accenture à la tête des activités du cabinet en lien avec le gouvernement. Il est passé chez Eurogroup Consulting en 2022.
Un trimestre pour remettre un diagnostic interministériel
Charge revient à lui et à ses équipes de passer en revue le total de 17 milliards d'euros d'achats réalisés en 2018. Ce montant est en hausse (16,2 milliards en 2017 contre 15,9 en 2016), malgré les économies que la DAE indique avoir déjà réalisées, de l'ordre de 350 millions d'euros par an sur cette période.
Il faudra un petit trimestre au cabinet pour s'exécuter. Dans un diagnostic transverse daté de novembre 2020, que la Lettre du conseil a pu consulter, le cabinet donne les grandes lignes de sa méthode pour réduire les achats de l'État.
Il le fait après avoir collecté 2000 fichiers (données de dépenses, attributions de marchés), après avoir administré un questionnaire en ligne à destination des différentes équipes en charge des achats au sein des ministères. Des ministères où les équipes d'Accenture ont également conduit 150 entretiens, ainsi qu'à la Direction des achats de l'État (DAE) et au sein des plateformes régionales des achats de l'État (relais en régions de la DAE).
Reco n°1 : faire davantage d’achats interministériels et éviter les doublons
Son premier boulot : faire le tri dans les 23 500 marchés passés par les ministères en 2017. Ce qui l'amène à un premier constat : peu sont interministériels (de l'ordre de 3 milliards d'euros). Et parmi les interministériels, plusieurs sont potentiellement concurrents. D'où la première recommandation d'Accenture : étendre la couverture interministérielle des achats de 3 à 10 milliards d'euros.
Au-delà, la démarche d'Accenture consiste à mesurer ce que font les ministères en matière d'achats, selon 7 critères de maturité (gouvernance, collaboration avec les parties prenantes, technologies, achats et responsables innovants...). Avec pour chacun, des exemples de ce que devrait être la pratique optimale : “un large spectre de dépenses est couvert par la fonction achat”, “les acheteurs sont des acheteurs de profession passant 80 à 100% de leur temps aux achats”, “plus de 80% des dépenses sont anticipées lors de la programmation”, énumère Accenture dans sa présentation.
Une grille qui sert ensuite aux consultants à identifier là où les acheteurs ministériels pourraient faire mieux.
Productivité, réduction d'effectifs :
les recommandations sans ménagement d'Accenture
Sans ménagement parfois. Ainsi les équipes Accenture se montrent-elles sévères quant à la productivité par exemple. Elles soulignent que 55% des services achats ministériels (332 services) traitent moins de 5 consultations par an et par service et appellent à “une meilleure allocation des moyens humains”. Idem de l'organisation du temps de travail : “39% du temps des acheteurs [est] consacré aux activités transactionnelles de rédaction et passation des marchés, au détriment de la stratégie et de l’optimisation des budgets”, relève Accenture. Ou encore, “11% du temps des acheteurs [est] consacré à l’élaboration des stratégies d’achats à comparer aux 30% des meilleures pratiques”.
Une autre préconisation rugueuse porte sur le dimensionnement des équipes qui se consacrent aux achats au sein des ministères, dont Accenture propose de réduire la taille de 30 à 40% pour les ramener à environ 2000 personnes équivalents temps plein.
Le diagnostic présenté en novembre 2020 creuse encore bien des points : la collaboration entre les acheteurs et les prescripteurs, l'innovation jugée “trop floue”, la part des achats responsables qui “restent encore en deçà de l’objectif du plan national d'action pour des achats publics durables”, les nombreux outils digitaux utilisés par les services achats...
Des économies de 450 à 750 millions d'euros (et 4 mois d'ateliers pour les initier)
Fort de toutes ces analyses, le cabinet avance “un potentiel de 450 à 750 millions d'euros d'économies”, un peu en-dessous des 800 millions d'euros annuels que cherchait à atteindre l'exécutif d'alors.
Après l'analyse, la mise en œuvre. Pour atteindre l'objectif d'économies ainsi déterminé, Accenture propose au gouvernement d'organiser 4 à 5 mois de “sprints” dans les différents ministères (intérieur, justice, ministères sociaux, finance...). Objectif de cette cinquantaine d'ateliers ? Réunir à chaque fois des membres clés des achats dans chaque ministère et, sujet par sujet, voir comment faire fonctionner dans la vraie vie les meilleures pratiques passées en revue par le cabinet.
Avec quels résultats ? Si le calendrier fourni par Accenture projetait un déploiement jusqu'à fin 2024, ni lui ni la DAE n'ont souhaité indiquer à la Lettre du conseil ce qu'il en est advenu in fine. ▣